Interview

Rudi Garcia : « Il n’y avait pas besoin de dire deux fois la même chose à Eden Hazard »

Alors que le LOSC est bien placé en Ligue des Champions, replongez dans une des plus belles périodes des Dogues avec Rudi Garcia, coach du doublé de 2011. Entretien dans lequel le tacticien évoque forcément Eden Hazard, le capitanat de Rio Mavuba et ses 11 années passées au LOSC.
Publié le 21/01/2025 à 16:34
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Rudi Garcia

Rudi, quand avez-vous écrit les premières lignes de votre histoire avec le LOSC ?
Le LOSC est mon club formateur, là où j’ai signé mon premier contrat pro avant de passer six ans comme joueur (1982-1988). Je n’étais encore qu’un ado quand Charly Samoy (directeur sportif de 1963 à 1988) est venu me chercher en région parisienne à Viry-Châtillon, où je jouais en D3. C’est un rêve qui s’accomplissait ! C’est encore un rêve qui se réalisait quand en 1984 j’ai disputé mon premier match en professionnel.

Et vingt ans après, vous y êtes retourné, cette fois-ci comme entraîneur.
Le LOSC est dans mon cœur depuis toujours. Si bien que je n’ai pas hésité une seconde à venir entraîneur l’équipe, quand bien même j’arrivais du Mans où nous avions réussi la meilleure saison de l’histoire du MUC 72 en 1ère Division. Jean-Michel Vandamme (conseil sportif à l’époque), à qui je dois beaucoup pour mon retour au LOSC, n’a pas mis longtemps à me convaincre. Revenir vingt ans après au club et profiter du Domaine de Luchin et disputer les matchs au Stadium Nord, puis finir dans le grand Stade, a été quelque de très différent. Car lorsque j’étais joueur, le LOSC jouait à Grimonprez-Jooris et nous nous entrainions derrière le stade. 

Pouvez-vous nous rappeler dans quel contexte vous êtes revenu au LOSC à l’été 2008 ?
Passer du Mans au LOSC a été un pas supplémentaire dans mon cursus de carrière d’entraîneur. Le LOSC restait sur de belles choses et avait notamment disputé des compétitions européennes, mais lorsque je reviens au club, il n’était pas qualifié pour l’Europe et il restait sur une saison difficile (7e). Ce qui nous a permis de travailler plus en profondeur la 1ère saison, car il n’y avait pas de match en semaine. 

« On a perdu Micka Landreau dès le premier entraînement… »

Quels ont été vos premiers changements apportés à l’équipe ?
Ce groupe était en renouvellement. Il fallait faire en sorte que la transition soit la plus douce possible. Mais en arrivant dans un club comme le LOSC, vous avez besoin de vous imposer en marquant votre empreinte. C’est aussi pour cette raison qu’il y a eu un changement de capitaine. J’ai tout fait pour convaincre Rio Mavuba de rester avec nous (il était arrivé en prêt de Villarreal). Après la première année, Mickaël Landreau est arrivé. C’était un choix très important pour nous. Parce que l’on avait besoin d’un gardien excellent aux pieds. Et je pense qu’il n’y avait pas meilleur que Micka. Ni plus intelligent que lui tactiquement.

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Son aventure au LOSC avait pourtant mal débuté…
Au premier entraînement avec le LOSC, Micka se pète les croisés…On l’a perdu pour 4-5 mois même s’il est revenu super vite. Donc nous avons aussi eu des embuches dans notre parcours. Mais nous avons réussi à améliorer cette équipe, si bien que l’année du titre nous avions un groupe complet avec un onze-type fort mais aussi d’autres joueurs qui finissaient les matchs et qui étaient largement au niveau des titulaires. J’avais vraiment de quoi coacher et d’influer sur le match, même s’il n’y avait que trois changements possibles à l’époque. 

Concernant Rio Mavuba, pourquoi l’avoir choisi pour être votre capitaine ?
Pour le capitanat, je prends toujours le temps pendant les six semaines de préparation de voir qui sont les leaders qui émergent. Et je me décide seulement après. Pour Rio, je l’ai vu évoluer. Il était apprécié de tout le monde. Il est intelligent, il parle très bien et il était très motivé. Bref, il avait tous les prérequis du leadership. De plus, je trouvais ça bien, car s’il avait fait six mois en prêt ; il venait de l’extérieur. C’était un joueur nouveau qui permettait de trancher et de marquer le renouvellement nécessaire de l’effectif.

Mickaël Landreau aurait-il aussi pu prendre le brassard ?
Il n’était pas nécessaire de donner un brassard à Micka Landreau pour qu’il soit influent sur et en dehors du terrain. Il savait motiver tous les joueurs de manière positive. Les gardiens sont souvent des joueurs réfléchis et influents. Pour moi, le gardien est déjà un capitaine en puissance et qu’il n’y a pas besoin de lui donner le brassard. Il doit naturellement parler à sa défense et à ses coéquipiers, mais l’inconvénient que j’y trouve est qu’il est loin du cœur du jeu et de l’arbitre. Et un capitaine doit être en capacité de discuter avec l’arbitre. De par sa position Micka voyait tout le jeu devant lui, il avait une réflexion pertinente. De plus, il était le premier de nos attaquants, car il mettait le ballon où il voulait avec ses pieds. C’est d’ailleurs parce qu’il aimait jouer aux pieds, qu’il avait demandé à être avec les joueurs de champ lors de son premier entraînement.

Vous avez évoqué des embuches. Quelles étaient-elles à part la blessure de Mickaël Landreau ?
Mon parcours au LOSC a été marqué par la saison 2009/2010 où on aurait dû accrocher la Ligue des Champions. Nous étions encore 2es avant la dernière journée et un match à Lorient. Si on gagnait, on restait deuxièmes. On menait 1-0 et Fabien Audard a arrêté un pénalty de Yohan Cabaye et finalement on a perdu 2-1, ce qui nous a fait passer 4e au classement à la fin de la rencontre. Ça a été un coup de massue terrible sur le plan mental, mais cela a aussi été l’acte fondateur de la saison suivante, celle du doublé. La preuve en est, nous avons rejoué Lorient à domicile la saison d’après et l’équipe était hyper-motivée pour effacer ce qui s’était passé. Nous avons gagné 6-3 ! 

« Il n’a pas fallu beaucoup d’entraînements pour se rendre compte du talent d’Eden »

Pouvez-vous revenir sur la façon dont se sont passés vos débuts avec Eden Hazard qui n’avait que 17 ans et demi et 4 matchs de Ligue 1 McDonald’s à votre arrivée ?
On savait qu’il y avait du talent au centre de formation du LOSC et notamment un jeune joueur belge qui était une vraie pépite. Eden était un garçon très bien élevé avec une famille équilibrée. Tout a été fluide avec lui. La Belgique était à côté, donc c’était bien pour son équilibre de vie. Au début de saison 2008/09, je me souviens que Jean-Michel Vandamme m’a fait venir dans son bureau pour me présenter des jeunes joueurs qu’il avait prévu de faire venir en stage de présaison. Et Eden en faisait partie. Jean-Michel leur a dit que si après ce stage j’estimais qu’ils avaient assez de qualité avec un bon comportement, ils pourraient être du deuxième et ensuite peut-être participer à l’entraînement toute la saison. Et effectivement, il n’a pas fallu beaucoup d’entraînements pour se rendre compte du talent d’Eden en termes de percussion et de dribbles. 

Quel type de joueurs était-il à ce moment de sa jeune carrière ?
Au début, Eden pensait que le foot se jouait uniquement avec le ballon, pas sans. Je force volontairement un peu le trait, mais c’est pour dire qu’il a fallu faire un travail tactique sur le replacement défensif, sur les appels de balle ou encore sur son jeu sans ballon. Mais il est normal qu’il manque des choses à un joueur de 16-17 ans. Le gros avantage avec un joueur aussi doué que lui, c’est qu’il n’y avait pas besoin de lui dire deux fois la même chose. Il a progressé à vitesse grand V en assimilant les conseils. C’est un joueur qui pouvait jouer partout. Mais il était plus dans son jardin sur le côté gauche. C’est là qu’il a fait ses meilleurs matchs. Je pouvais le mettre en pointe et à droite ou même un peu retrait. Il y avait beaucoup de possibilités avec lui. 

Avec les années, quel regard portez-vous sur le parcours d’Eden Hazard avec le LOSC ?
Ce que j’ai apprécié avec Eden, c’est qu’il est resté avec nous aussi longtemps, car il a été beaucoup sollicité et cela très vite. Il a été bien conseillé sur le fait qu’il fallait continuer de progresser avec nous. Cela a été un vrai bonheur. Aujourd’hui, on voit trop de jeunes joueurs partir pour des montants importants, mais qui pourraient apporter trois fois plus en restant une saison ou deux supplémentaires dans leur club. Non seulement Eden a été un élément important du doublé de 2011, mais il est resté la saison suivante. Je me souviens lui avoir demandé de faire des stats. Car parfois, je le trouvais trop altruiste. C’était un excellent passeur, mais pas encore un buteur prolifique. Et sa dernière saison, il a mis 20 buts avec le LOSC. Je pense qu’il a pu partir à Chelsea en étant 100% aguerri.