On sait que le nombre de jeunes qui passent par un centre de formation et qui deviennent professionnels à la fin est assez faible. Quand on arrive au HAC à 13 ans comme toi, comment on gère cette donnée ?
Ça peut paraître bizarre mais je n’y pensais pas vraiment. Pourtant, depuis l’âge de 3-4 ans, je jouais au foot tous les jours. Avant d’intégrer le centre de formation du Havre, j’étais en sport-études donc je m’entraînais déjà quotidiennement. C’est un peu comme si ça avait toujours été mon métier.
Mais pendant ta formation, tu voyais bien que certains de tes coéquipiers n’étaient pas retenus au fil des années…
Bien sûr. À la fin de chaque saison, il y avait des réunions où on nous disait si on était gardés ou non. Ça dépendait du niveau au foot bien sûr mais aussi des résultats scolaires et du comportement. Tous les ans, des copains se faisaient virer. On prenait ça en pleine tête. On savait qu’en juin, ça pouvait se finir. Même si tu as un bon niveau, tu ne pouvais jamais savoir ce qui t’attendait. Mais pour être franc, plus je grandissais, plus j’étais certain que j’allais devenir pro. J’étais tout le temps appelé dans les équipes de France de jeunes, j’ai intégré le groupe pro du HAC très tôt… Donc je me disais que le chemin était tout tracé, que j’avais de grandes chances de pouvoir vivre de ma passion.
À partir de 2014 et pendant plus de trois ans, tu étais donc un habitué des équipes de France de jeunes, des U16 jusqu’aux U20. Qu’est-ce que ça t’a apporté ?
Forcément. Déjà, ça m’a permis de beaucoup voyager, de découvrir d’autres cultures. Ensuite, j’étais avec les meilleurs joueurs de ma génération, ce qui permet de progresser plus vite, d’emmagasiner de l’expérience. Et puis, pouvoir chanter la Marseillaise, ça marque ! Mon meilleur souvenir ? Peut-être mon premier tournoi, l’Aegean Cup en Turquie. Il y a aussi l’Euro U17 en Bulgarie, où on passe un mois et demi ensemble et on termine par une victoire.
On parle de quelle génération exactement ?
J’ai fait quelques sélections avec Kylian Mbappé, qui est né en 1998 comme moi. Je jouais aussi avec Dayot Upamecano, Jeff Reine-Adélaïde, Jonathan Ikoné, Faitout Maouassa, Alexis Claude-Maurice, Odsonne Édouard… Le plus impressionnant ? Jeff Reine-Adélaïde. L’autre que je trouvais très fort, c’était Jonathan Ikoné. Ils étaient au-dessus. Kylian Mbappé était très fort bien sûr mais les deux autres m’impressionnaient encore davantage. Bon, pour être honnête, Kylian a vite été surclassé donc je n’ai fait que quelques matchs avec lui !
Il était comment à l’époque ?
Très sûr de lui. Il savait où il allait. La dernière fois que j’ai été en équipe de France avec lui, il venait de remporter l’Euro U19 avec la génération 1997. Chez lui, tout était déjà calibré, rien n’était laissé au hasard, donc je ne suis pas étonné par le joueur qu’il est devenu !
Pour en revenir à ta carrière en club, elle a mis un peu de temps à décoller puisque tu as dû attendre 2018 et l’âge de 20 ans pour signer ton premier contrat pro au HAC...
Oui, ça n’a finalement pas été aussi facile que ça. Franchement, ça a même été compliqué. Je m’attendais à passer pro et à jouer en pro plus tôt. J’étais impatient et même chiant avec mes éducateurs. Je leur disais que ce n’était pas normal que je ne joue pas, que j’étais le seul de ma génération en équipe de France… J’étais souvent surclassé, je jouais avec les pros à l’entraînement et j’étais bon. Je sentais qu’il y avait la place mais ça ne venait pas. C’était frustrant car j’étais un jeune garçon qui voulait peut-être aller trop vite. Ça a été compliqué à gérer. Il y avait un ras-le-bol…
Au point d’envisager d’arrêter le foot ?
Quand même pas. En fait, comme mes parents habitent à une bonne quarantaine de minutes du Havre, j’ai décidé de rendre mon appartement et de retourner vivre chez ma mère. J’avais 19 ans et je faisais la route tous les jours mais ça m’a fait du bien d’être avec elle. On parlait beaucoup et ça m’a aidé à relativiser. Il a fallu mettre de côté ce que tout le monde me disait sur mon niveau depuis des années.
C’est donc le fait qu’on place beaucoup d’attentes en toi qui a été perturbant ?
Non car j’étais le premier à m’imaginer jouer à haut niveau, mais comme tous les adolescents du club. Ce n’était pas ça le problème. Tout le monde me disait : « Ça va arriver », même les coachs. Mais ça n’arrivait pas. C’était frustrant.
Après ton passage pro, tu fais deux ans avec Avranches en National avant de signer à Chambly en Ligue 2 BKT. Tu as ressenti le fait de finalement pouvoir jouer dans un championnat professionnel comme un aboutissement ?
Clairement. Je n’attendais que ça. Sans être prétentieux, je savais que j’avais le niveau. Il fallait juste que je joue. Quand j’ai signé pro, j’ai choisi de descendre d’un étage en partant en prêt à Avranches, en National. C’est une équipe qui jouait au ballon et c’est le style qui me permet de m’épanouir. Et je savais que si j’étais bon en National à 20-21 ans, j’aurais l’opportunité de jouer plus haut ensuite.
Tu as aussi fait évoluer ta façon de jouer ?
Oui, certaines choses car, au HAC, je n’avais pas tout bien fait. C’est surtout dans ma manière d’être que j’ai évolué. Mais le plus important, quand on est jeune, c’est de jouer. Si tu ne joues pas, on ne te voit pas ! Même si ça faisait longtemps que je jouais dans un environnement adulte, quand je suis parti du Havre, j’ai pu découvrir un autre contexte que celui du HAC, où j’étais avant tout vu comme un joueur formé au club. Ça m’a fait du bien de voir autre chose.
Après Avranches et Chambly, tu t’imposes ensuite à Rodez, où tu deviens un pilier de l’équipe et où tu portes le brassard de capitaine. Est-ce que c’est ta plus grande fierté d’avoir réussi à « récupérer » ta carrière ?
Forcément. Quand j’étais au Havre et que je ne jouais qu’en CFA, beaucoup de gens devaient se dire que j’étais fini donc ça m’a fait du bien de montrer que j’étais capable de jouer en Ligue 2, d’être performant, d’être capitaine… Et en plus, ça se passait bien pour l’équipe !
Cette trajectoire te donne une force supplémentaire par rapport aux joueurs qui ont eu un parcours plus linéaire ?
Oui, ça m’aide. Je sens que je suis plus calme, plus réfléchi dans beaucoup de situations. Je démarre moins au quart de tour qu’avant. Maintenant, j’aurais préféré avoir une trajectoire plus linéaire et jouer à un niveau encore au-dessus. Mais même si j’aurais aimé faire plus, je suis quand même content de ce que j’ai réussi à faire.
Jusqu’où t’imagines-tu aller ?
Si je suis réaliste, je sais que je joue à un poste où il y a désormais certains standards, où on dit qu’il faut faire 1m90 par exemple… On me voit aussi parfois comme un joueur de défense à trois alors que j’ai souvent joué à quatre et que je sais m’adapter. On m’a souvent dit que j’avais une relance de qualité mais que j’avais un jeu à risque. Mais pour moi, le foot doit rester un plaisir. J’ai bien voulu changer certaines choses pour progresser mais je ne vais pas non plus renier ma manière d’être, ma manière de jouer. En tout cas, je vais essayer d’aller le plus haut possible. Je bosse au maximum pour continuer à grimper. Mais pour l’instant, je reviens de blessure, il faut que j’aide le Red Star à être performant pour qu’on réussisse un beau maintien et que le club continue à se développer. Le Red Star mérite mieux par rapport à son histoire et tout ce qu’il représente.
Enfin, si le Bradley Danger du Red Star avait un conseil à donner au jeune Bradley Danger, ce serait quoi ?
Je lui dirais de rester focus à 100% sur le foot et sur lui-même, de ne pas faire attention à ce que disent les gens, aux pseudo-conseils… Je lui dirais de rester calme et serein, c’est le plus important. Si on est parasité mentalement, on est forcément moins performant sur le terrain.