Angers : L’interview « vieux briscard » avec Pierrick Capelle

Interview
Arnaud Di Stasio
Publié le 08/11/2024 à 11:00
12 min de lecture
Arrivé dans le monde pro sur le tard, à 25 ans, le capitaine angevin Pierrick Capelle dispute sa 10e saison avec le SCO.

Dans sa 10e saison avec Angers, à désormais 37 ans, Pierrick Capelle évoque avec fraîcheur sa longévité, le bon vice, l’équilibre entre progression et régression ou encore son rôle auprès des jeunes…  Entretien avec le capitaine du SCO.

Dans le foot, on utilise parfois l’expression « vieux briscard ». Maintenant que tu as 37 ans, estimes-tu faire partie de cette catégorie ?
On peut imaginer que j’en suis un car j’ai quand même 37 ans mais je n’ai pas vraiment cette étiquette-là pour autant. Je reste très jeune dans ma tête. Je n’utilise sûrement pas mon expérience autant que je le devrais car être un « vieux briscard », c’est une qualité je trouve. Un vieux briscard joue à l’expérience, joue avec sa tête, sans doute davantage que je le fais aujourd’hui car, moi, je suis plus dans l’action, dans l’émotion du moment… C’est un joueur qui contrôle le tempo d’un match, qui fait attention à un tas de petits détails, à jouer vite certains coups francs par exemple. Je suis capable de le faire évidemment mais ce n’est peut-être pas tout à fait dans ma nature.

C’est-à-dire ?
Je ne sais pas mais quand je pense à un vieux briscard, je pense davantage à des défenseurs, comme Romain Thomas, Nicolas Pallois ou Dante. Lui, c’est la classe internationale ! C’est drôle de me poser cette question à moi car, personnellement, j’ai du mal à me définir comme un vieux briscard mais mes coéquipiers, eux, ils doivent me percevoir comme ça.

Si tu as du mal à te définir comme un vieux briscard, c’est peut-être parce que tu as découvert le monde pro tardivement, à 25 ans, et que tu as donc peut-être davantage de fraîcheur qu’un joueur de 37 ans avec un parcours plus classique…
C’est exactement ça. C’est pour ça que je me sens encore jeune dans ma tête et dans mon corps. Et j’espère que ça se ressent dans mon jeu ! Si on compare mon cas avec celui de certains copains de mon âge qui sont encore dans le circuit mais qui ont commencé à 18-19 ans, c’est sûr que ce n’est pas la même chose.

« Une satisfaction supplémentaire dans le fait de durer »

Le SCO a longtemps eu une colonne vertébrale avec des joueurs de ce profil comme Romain Thomas, Ismaël Traoré, Vincent Manceau ou Thomas Mangani. C’était un vrai avantage ?
On a toujours besoin de joueurs d’expérience mais ce qui compte, c’est de trouver le bon équilibre. On a aussi besoin de jeunesse. Il faut pouvoir compter sur tous les profils. C’est le plus important.

Est-ce que tu prends davantage de plaisir ces dernières saisons que lors des premières années de ta carrière pro ?
J’ai du mal à me dire que je prends plus de plaisir maintenant qu’au début ou au milieu. Je prends toujours le même plaisir. Je me lève tous les matins en me disant que je vis de ma passion et que je réalise mon rêve depuis 12 ans maintenant. Je prends toujours autant de plaisir au fil des années. Maintenant, c’est vrai qu’il y a une forme de satisfaction supplémentaire dans le fait de durer, c’est certain.

Tu es le troisième joueur le plus âgé du championnat derrière Dante et Steve Mandanda. Comment expliques-tu ta longévité ?
On parle souvent de la préparation invisible, un concept un peu abstrait pour les gens qui ne sont pas dans le milieu, mais c’est ce qui fait toute la différence. À partir du moment où l’on prend soin de son corps, en mangeant bien, en buvant bien et en dormant bien, on se donne la possibilité de durer. Le quatrième paramètre, c’est la fraîcheur mentale. Pour durer, il faut arriver à rester frais dans la tête, à encaisser les différentes situations, positives et négatives surtout.

Pour revenir à la préparation invisible, c’est une chose à laquelle tu as accordé de l’importance tout de suite ou une bascule s’est opérée à un moment précis ?
J’ai réussi à ajuster les choses au fur et à mesure mais, avant même de passer pro, j’étais carré, j’essayais d’être le plus sérieux possible, car j’avais cet objectif de devenir pro. Une fois que ça s’est concrétisé avec ma signature à Clermont, ça m’a confirmé que c’était la bonne méthode. Ensuite, j’ai affiné, j’ai perfectionné la chose et aujourd’hui encore, je continue de m’appuyer sur ces bases.

Pour garder une certaine fraîcheur mentale, tu vois des spécialistes, que ce soit au club ou en dehors ?
Ça pourrait être une bonne idée d’avoir un accompagnement au sein du club, c’est une idée que l’on a évoquée. La tête dicte tout. Il faut de la fraîcheur mentale pour durer mais, à tout âge, à tout moment, si un joueur est tracassé, qu’il a des soucis, qu’il ne se sent pas bien, il ne sera pas épanoui et il n’arrivera pas à performer. Si tu n’es pas épanoui en dehors du terrain, c’est difficile de l’être sur le terrain. Malgré tout, je n’ai jamais fait appel à un coach mental. C’est avec ma femme que je parle, c’est elle ma coach finalement (rires). Ça se passe très bien pour nous de cette manière donc on continue.

« On me disait souvent que j’étais un chien fou »

Dans quels domaines du jeu as-tu le plus progressé avec l’âge ?
J’essaie de davantage analyser les situations, de jouer davantage avec la tête. Plus jeune, je fonctionnais beaucoup plus à l’instinct. Quand je suis arrivé à Clermont, on me disait souvent que j’étais un chien fou. Je partais un peu dans tous les sens. Après, jouer à l’instinct m’a aussi réussi, ça m’a permis de marquer des beaux buts comme celui contre Guingamp en 2016 (une volée en pivot des 25 mètres, élue plus beau but de la saison aux Trophées UNFP). Avec le temps, j’ai travaillé pour trouver le bon équilibre et placer le curseur davantage côté analyse du match. Avec l’âge, tu ne peux plus faire ce que tu faisais à 25 ans de toute façon donc il faut revoir certaines façons de faire. Un peu dans le même ordre d’idées, là où j’ai aussi beaucoup progressé, c’est dans la gestion des temps forts et des temps faibles.

Et, au-delà de 30 ans, on continue à progresser techniquement et tactiquement ?
Chaque année, tu apprends des choses nouvelles ou, plutôt, la répétition fait que tu maîtrises les choses toujours un peu mieux. Si tu ne restes pas focus, avec cette idée de t’améliorer, tu vas baisser de niveau à tous les points de vue. Pour moi, c’est une certitude que tu peux progresser techniquement durant toute ta carrière. Le but du jeu, c’est d’avoir le moins de déchet possible. Tactiquement, c’est un peu différent. Si tu joues dans les mêmes systèmes, tu finis par être rodé parce que tu l’as fait, refait, re-refait…

Comment trouver cet équilibre entre progression constante et régression physique ? 
C’est ce juste milieu qu’il faut essayer de maintenir. Tu ne cours plus aussi vite qu’à 25 ans, l’intensité est différente. Plutôt que d’essayer de faire un contrôle orienté pour te retourner et passer l’adversaire qui est dans ton dos, tu vas privilégier un une-deux pour éviter le duel, tu vas trouver d’autres solutions. C’est pour ça qu’il est capital de savoir analyser les situations.

« Je me sens encore plus légitime »

Ces dernières saisons, tu portes le brassard de capitaine. Une fonction qui implique de prendre régulièrement la parole généralement. Comment ça s’organise de ton côté ?
Je ne parle pas toujours au même moment. J’essaie de varier. Il y a une communication collective mais aussi beaucoup de communication par petits groupes ou individuelle. L’idée est de garder la ligne directrice du SCO et les valeurs du club. A partir du moment où les coéquipiers t’écoutent, c’est facile et j’ai la chance d’avoir un groupe vraiment à l’écoute, qui a envie de performer, donc le message passe facilement.

Tu fonctionnes de la même manière lors des matchs que tu débutes et lors de ceux où tu commences sur le banc avant de récupérer le brassard à ton entrée en jeu comme à Monaco vendredi dernier ?
Oui, ça ne change rien. Le coach (Alexandre Dujeux) fait des choix. Himad Abdelli a le brassard quand je suis sur le banc mais c’est clair pour le vestiaire. Dans l’esprit de tout le monde, je suis le capitaine numéro 1 et, sportivement, le coach fait des choix. Ce sont deux choses différentes. Ici, ce n’est pas parce que tu es capitaine que tu es forcément titulaire.

Depuis quand te sens-tu à l’aise pour jouer ce rôle de leader ?
J’ai toujours aimé transmettre des messages, de la bonne énergie. Je suis quelqu’un qui pense avant tout au collectif donc je suis dans une approche globale. Au club, il y avait les cinq anciens dont on a parlé tout à l’heure. Quand les quatre autres sont partis, je me suis senti encore plus légitime et porteur d’une mission, celle de transmettre les valeurs du SCO. C’est certainement pour ça que le coach de l’époque (Gérald Baticle) avait choisi de me mettre capitaine.

Parmi les valeurs dont tu parles, il y a toujours celles de la « dalle angevine » ou c’est un cliché qui a vécu ?
Au tout début, on axait vraiment le discours sur la « dalle », sur le fait de ne jamais rien lâcher. C’est quelque chose qu’on a gardé tout en ajoutant des éléments au fil du temps, à mesure que le club s’est amélioré, que ce soit dans la structure ou la qualité de l’effectif et donc la qualité de jeu. C’est quand même mieux d’avoir d’autres atouts que de simplement s’accrocher et réussir à marquer un but un peu à l’arrache. Il y a eu une belle évolution du club.

« Il m’a fallu deux fois plus d’énergie pour réussir »

Est-ce que les jeunes joueurs du groupe comme Emmanuel Biumla, Yassin Belkhdim, Yahia Fofana ou Esteban Lepaul viennent te demander conseil ?
Ça ne se passe pas exactement comme ça, il n’y a pas de demande formelle. Au quotidien, je ressens parfois le besoin d’envoyer un petit message à certains coéquipiers. Mais on sent que les jeunes sont à l’écoute et ça, c’est super intéressant. Je ne suis pas quelqu’un qui veut ramener sa science, loin là, mais si je peux aider les autres à progresser, à avancer, je suis là. Le but, c’est que tout le monde soit bien dans sa peau, dans sa tête. Par exemple, le petit Justin Kalumba est blessé depuis un moment, il a donc un peu de mal. Quand on le voit, il a le visage fermé. On sent que c’est dur ce qu’il vit, surtout que ce n’est pas évident quand on est jeune. Il faut donc essayer d’avoir un petit mot pour lui, ce n’est pas grand-chose mais ça peut faire du bien.

Au SCO, tu as joué avec plusieurs jeunes très grands talents comme Sofiane Boufal, Mohamed-Ali Cho, Nicolas Pépé… Est-ce que tu te souviens d’échanges particuliers avec eux ?

Il y a différentes étapes avec les jeunes : il peut y avoir des conseils, des recadrages… C’est important aussi. Il y en a un autre que j’ai envie de citer, c’est Jean-Mattéo Bahoya. Il était assis à côté de moi dans le vestiaire et, en dehors aussi, j’essayais de le prendre sous mon aile car j’étais persuadé qu’il pouvait réussir. Il a fait ce qu’il fallait et aujourd’hui, il s’éclate en Allemagne !

Quand tu es arrivé dans le monde pro, quel est le conseil qui t’aurait fait gagner beaucoup de temps ?
Peut-être que j’aurais pu être encore meilleur si j’avais eu recours à un coach mental pour revenir à ce que l’on disait tout à l’heure. Je suis quelqu’un qui réfléchit beaucoup, qui se prend peut-être un peu trop la tête, donc ça m’aurait sans doute aidé d’être un peu plus encadré, un peu plus préparé pour le monde pro, moi qui arrivais de nulle part. Quand j’ai rejoint Clermont, je sentais qu’il me manquait des petits trucs sur le plan technique et tactique par rapport aux gars qui avaient mon âge mais qui avaient suivi un cursus classique. Il m’a fallu deux fois plus d’énergie pour réussir.

« Certains joueurs te marchent sur le pied... »

Pour terminer avec le côté « vieux briscard », est-ce que le vice fait forcément partie de la panoplie ?
C’est vrai qu’il y a du bon vice, comme jouer un coup franc rapidement, rester devant le ballon pour empêcher l’adversaire de jouer vite, faire une faute intelligente… Il y a aussi tout ce qui est discussion avec l’arbitre. C’est important de lui parler, de lui faire sentir qu’on est là. C’est ce que fait très bien Dante, ce qu’il a fait contre nous en début de saison, même s’il n’a plus vraiment besoin de ça car, avec son aura naturelle, les arbitres vont sûrement faire attention à ce qu’il dit ou fait.

Est-ce que tu essaies parfois d’entrer dans la tête de tes adversaires sur le terrain ?
Je ne suis pas trop comme ça même si je me suis un peu pris la tête avec Golovine lors de notre dernier match, à Monaco. Je lui parlais, je lui parlais, mais il ne comprenait pas ce que je lui disais donc ce n’était pas très productif ! Mais je sentais qu’il était énervé donc le fait de lui parler le maintenait en tension. En fait, ça a commencé sur une touche où il m’a attrapé la tête donc après, je l’ai titillé, je lui ai accroché le bras, je lui ai même un peu tiré les cheveux. C’est con mais ça énerve, ce sont des petites choses qui ont leur importance. Certains joueurs te marchent sur le pied, sur le talon… Ce n’est pas quelque chose que j’ai toujours fait, ce sont des trucs d’anciens. Ils le font beaucoup, même à l’entraînement !