Jessy, à quand remontent vos premiers souvenirs de derby entre Stéphanois et Lyonnais ?
Dès le centre de formation (intégré en 1999), on pouvait ressentir la ferveur avec les coachs qui nous répétaient l’importance de ce match. C’était déjà un match très spécial chez les jeunes. Il y avait plus de monde, plus d’animosité. Ces matchs étaient déjà sous tension. Même si c’était tendu par exemple face à La Duchère, face à l’OL nous étions encore un étage au-dessus. Cette rivalité était unique.
Et une fois en pro, c’est en janvier 2008 que vous figurez pour la première fois dans le groupe pour un derby. Vous sentiez-vous prêt à entrer en jeu en cas de besoin ?
Les premiers derbys, ce n’est pas que l’on n’a pas envie de rentrer, mais on sait que s’il le faut ça va être compliqué. Jouer ce type de match avec du stress et de l’engouement fait grandir. C’est vrai qu’au début, j’ai vu les derbys de l’extérieur, puis après depuis le banc de touche. Être témoin de cette pression particulière m’a donné envie d’y aller à mon tour.
Et ce jour a fini par arriver, puisque vous êtes titulaire lors du derby de février 2017 à Geoffroy-Guichard (2-0).
Quand je joue ce premier derby, j’avais heureusement déjà pu disputer des matchs. Cela faisait longtemps que j’étais dans le groupe, j’avais 31 ans. Mais ce n’était pas évident, car j’avais mis beaucoup de temps à jouer à nouveau en Ligue 1 après mes premiers matchs en 2012. Il s’était passé quatre ans et en plus j’avais pris un rouge à Lorient lors du premier match où je succède à Stéphane Ruffier (blessé) …
Dans quelles circonstances vous êtes-vous retrouvé à disputer ce derby ?
j’ai su que j’allais le jouer bien le jour du match, car Ruffier s’était blessé pour plusieurs semaines et on savait qu’il ne serait pas de retour à temps. Quand il s’est blessé en décembre, la première chose à laquelle j’ai pensée a été : « Il s’est pété, je vais jouer le derby ». C’est un bonheur d’accéder à ce match ! Au même titre que des matchs contre l’OM, le PSG ou l’Europa League. A l’époque, je n’en jouais pas beaucoup…C’était fabuleux !
Christophe Galtier, alors coach stéphanois, n’avait sans doute pas eu besoin de vous motiver avant le match.
Moi, jamais personne n’est venu me voir pour me dire c’est le derby, il faut que tu te bouges ! Au contraire. On venait me voir en me disant, il faut que tu bouges tout le monde pour le derby. Car des derbys, j’en vivais tous les ans depuis mes 13 ans. J’avais ce rôle à un moment où il a eu beaucoup de nouveaux joueurs, notamment des étrangers, donc il y avait une culture à transmettre.
A l’inverse de vous, d’autres joueurs avaient-ils du mal à saisir l’importance du derby ?
La plupart des joueurs savent déjà ce qu’est un derby avant de venir à l’ASSE. Il y en a dans tous les pays. Mais on les prévenait de l’importance qu’il revêtait à Saint-Etienne. Aux nouveaux, on leur disait : « tu vas voir ». La semaine du match, les joueurs comprenaient tout seul en voyant le nombre de supporters présents à l’entraînement pour rappeler combien c’est un match spécial pour eux. Ils nous demandaient de leur traduire toutes les banderoles. Ils étaient donc rapidement dans le bain !
Des joueurs étrangers étaient-ils particulièrement investis ?
Robert Beric adorait ça ! Il faisait partie des joueurs de derbys. Il s’était blessé lors de son premier derby face à Lyon dans une situation très tendue (un contact avec Jordan Ferri). Il attendait ce match comme s’il était un Stéphanois pure souche ! Cela se sentait ! Il avait des choses à réparer dans le derby et il y est parvenu (buteur décisif en octobre 2019).
Il avait donné la victoire à l’ASSE à la dernière minute (1-0) pour le 1er match de Claude Puel sur le banc stéphanois. Quel souvenir en gardez-vous ?
Le coach avait remanié l’équipe en intégrant des jeunes. Il connaissait l’importance des derbys pour avoir été dans le camp d’en face auparavant (2008-2011). Claude Puel savait ce qui se disait sur nous dans le camp d’en face. Il savait très bien comment faire et il a bien préparé ce match. On était alors dans une mauvaise période et cela avait remis l’équipe dans le bon sens. Personnellement, il m’a tout de suite manifesté beaucoup d’intérêt. Il m’a dit qu’il appréciait ma façon de travailler, de montrer l’exemple sur le terrain et mon comportement dans le vestiaire.
A l’image de ce derby de 2019 où Saint-Etienne occupait l’avant-dernière place avant le match, le classement des deux équipes est-il considéré au moment d’un derby ?
Oui forcément, si une victoire peut nous permettre de passer devant l’OL au classement, c’est un plus. C’est un enjeu supplémentaire qui ajoute un peu de nervosité au match. Et lorsque cela fait des années que les Verts n’ont pas enchaîné de victoires dans le derby et n’ont pas réussi à terminer devant l’OL au classement, cela a une saveur particulière, comme en 2013/14 (l’ASSE se classe 4e et l’OL 5e).
Porter le brassard dans un derby (2 fois en 2020/21) doit aussi être un moment particulier…
Il y a énormément de fierté. Le brassard ajoute un peu de poids sur les épaules. Car cela veut dire que le groupe et le coach comptaient sur moi et me considéraient comme un meneur d’hommes. Montrer l’exemple, tirer les gars vers le haut, parler dans le vestiaire tout cela faisait partie de mon rôle, car l’équipe était très jeune à l’époque. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles on en a pris cinq…
Comment se remet-on d’un 0-5 subi à domicile face à l’OL ?
Derrière nous avons gagné à Nice 1-0 en toute fin de match, grâce à notre caractère (série de 5 matchs sans défaite, dont 3 victoires). A ce moment, soit on s’écroule, soit on montre que l’on est capable de rebondir. Si on baisse les bras après en avoir pris cinq contre Lyon, on disparaît...Dans le vestiaire, le discours c’était : « il faut se relever ». Même si c’était une humiliation et que c’était très, très dur, ça restait du foot.
Le contexte de ces derbys était à l’époque spécial, puisqu’il n’y avait pas de supporters en tribunes.
Ces matchs étaient difficiles à jouer à huis-clos. C’est un des pires souvenirs de ma carrière de joueur de disputer un derby sans spectateur et de le perdre (2-1 et 0-5)… Difficile de trouver la motivation. Pour tous les joueurs c’était un combat contre nous même de jouer dans un stade vide. J’aurais préféré ne pas être capitaine et avoir du monde.
En revanche, le 100e derby (septembre 2010, victoire 1-0 de l’AS St-Etienne à Gerland) figure-t-il parmi vos meilleurs souvenirs ?
Forcément, même si on avait souffert tout le match…Les Lyonnais ont tapé la barre. Ça avait été très dur, mais on a gagné dans une super ambiance devant une partie de nos supporters. Il y avait une ferveur incroyable ! Cela faisait 17 ans que les Verts ne s’étaient pas imposés à Gerland…
Une victoire que vous avez vécue depuis le banc des remplaçants. Considérez-vous dans ce cas y avoir contribué ?
Je ne me sentais aucunement à l’écart. J’ai participé à la victoire en faisant partie du groupe. J’étais considéré par mes coéquipiers, car ils savaient ce que je mettais comme intensité tous les jours à l’entraînement. Et je n’étais pas le petit jeune qui venait dépanner. J’étais tous les jours avec eux, je donnais tout. S’il le fallait, je restais trois quarts d’heure de plus à l’entraînement pour que les gars frappent. Je ne comptais ni mon énergie, ni mes plongeons.
D’ailleurs, si Dimitri Payet marque ce coup franc de la victoire à Hugo Lloris c’est aussi parce qu’en qualité de n°2 vous étiez là à l’entraînement pour lui donner le change…
Oui, mais quand il marque, il ne vient pas vers moi pour me remercier, et c’est normal ! (rires) A cette époque, j’étais dans la cage à l’entraînement et je faisais ce que j’avais à faire. A ce moment, je suis heureux car j’aime mon club. J’avais bien conscience de ce que cette victoire représentait. Mais je restais à ma place sans en faire trop. Je n’étais pas du style à chambrer l’adversaire, à glisser sur les genoux devant le banc. Ma joie était plus démonstrative une fois dans le vestiaire avec les potes. Sur le terrain, je suis resté modéré et content, notamment parce que je savais qu’il y aurait la prime (rires).
Comment Christophe Galtier s’y était-il pris dans sa communication avant le derby ?
Déjà, il faut savoir que si les joueurs pensent au derby au moins quinze jours à l’avance, les coachs ne rentrent dans le match que la semaine précédente. C’est match après match pour eux. Donc, Christophe Galtier n’était pas là à nous rabâcher tous les jours que c’était le derby. Ensuite, Il laissait la pression monter au fil de la semaine avec des supporters de plus en plus nombreux chaque jour. Et le jour du match, il avait un discours un peu différent des autres fois ; les mots et l’intonation étaient différents. Il y mettait quelque chose en plus, de façon à ce que les joueurs soient bien conscients de l’enjeu. Alors, il n’avait plus qu’à faire sauter le bouchon d’une bouteille qui avait été bien secouée. Le message pouvait être de ne pas se faire marcher dessus. Il jouait sur la corde sensible en parlant de nos familles présentes au stade et de l’image du club à faire respecter.
Les causeries de Galtier, Puel et Gasset avaient-elles un effet sur vous ?
Ça marche tout le temps, personne n’est indifférent aux mots de son coach. Jean-Louis Gasset avait des causeries très axées sur l’humain et les valeurs. Lui et Galtier allaient chercher les joueurs dans leur amour-propre pour qu’ils se surpassent. Ces coachs pouvaient aussi bien s’adresser au collectif qu’à un joueur en particulier. C’est toujours gratifiant d’avoir un mot du coach. Et motivant !